La faillite d’une entreprise ou d’un particulier en Suisse a des répercussions majeures sur les contrats en cours. Cette procédure juridique complexe soulève de nombreuses questions quant au devenir des engagements contractuels existants. Que deviennent les baux, les contrats de leasing ou encore les contrats de travail ? Est-il possible de les annuler ou de les renégocier ? Quel est l’impact sur les dettes bancaires et hypothécaires ? Cet article examine en détail les conséquences de la faillite sur les différents types de contrats selon le droit suisse.
Les effets généraux de la faillite sur les contrats en cours
La déclaration de faillite entraîne des conséquences immédiates sur l’ensemble des contrats en cours du failli. De manière générale, le principe est que la faillite ne met pas automatiquement fin aux contrats. Cependant, elle modifie profondément leur exécution et leur devenir.
L’administration de la faillite, chargée de gérer la masse en faillite, dispose de prérogatives importantes concernant le sort des contrats :
- Elle peut décider de poursuivre certains contrats si cela est dans l’intérêt de la masse
- Elle peut résilier de manière anticipée des contrats devenus trop onéreux
- Elle peut céder certains contrats à des tiers
Les cocontractants du failli se retrouvent dans une situation délicate. Ils ne peuvent plus exiger l’exécution des contrats par le failli lui-même. Leurs créances antérieures à la faillite deviennent des créances dans la masse, qui ne seront remboursées que partiellement et au prorata dans le cadre de la liquidation.
Il est primordial pour les cocontractants d’annoncer rapidement leurs créances à l’administration de la faillite pour préserver leurs droits. Les délais sont en effet très courts en la matière.
Le cas particulier des contrats synallagmatiques
Pour les contrats synallagmatiques (impliquant des prestations réciproques) non encore exécutés au moment de la faillite, l’administration dispose d’un droit d’option. Elle peut choisir d’exécuter le contrat à la place du failli ou y renoncer. Dans ce dernier cas, le cocontractant peut réclamer des dommages-intérêts qui seront considérés comme une créance dans la masse.
L’impact sur les baux commerciaux et d’habitation
Les contrats de bail constituent souvent un enjeu majeur lors d’une faillite, tant pour les locaux commerciaux que pour les logements. Le droit suisse prévoit des règles spécifiques à ce sujet.
Pour les baux commerciaux, la faillite du locataire n’entraîne pas automatiquement la fin du bail. L’administration de la faillite peut décider de poursuivre le contrat si elle estime que cela est dans l’intérêt de la masse. Dans ce cas, elle devra s’acquitter des loyers à échoir. Elle peut également résilier le bail de manière anticipée, moyennant un préavis légal de six mois pour la prochaine échéance.
Le bailleur dispose quant à lui de la faculté de résilier le bail de manière anticipée si l’administration ne lui fournit pas, dans un délai raisonnable, des garanties pour le paiement du loyer futur.
Concernant les baux d’habitation, la protection du locataire est renforcée. La faillite du locataire n’est pas un motif de résiliation anticipée pour le bailleur. L’administration de la faillite peut toutefois décider de résilier le bail si elle juge que le maintien du contrat n’est pas dans l’intérêt de la masse.
Dans tous les cas, les loyers impayés antérieurs à la faillite constituent des créances dans la masse. Les loyers postérieurs à la faillite, si le bail est poursuivi, sont considérés comme des dettes de la masse et bénéficient d’un traitement privilégié.
La situation particulière des baux annotés au registre foncier
Les baux annotés au registre foncier bénéficient d’une protection accrue. En cas de vente forcée de l’immeuble suite à la faillite du bailleur, l’acquéreur est tenu de reprendre le bail aux conditions existantes.
Les contrats de leasing face à la faillite
Les contrats de leasing, très répandus dans le monde des affaires, soulèvent des questions spécifiques en cas de faillite du preneur.
En droit suisse, le contrat de leasing n’est pas régi par des dispositions légales spécifiques. Il est généralement considéré comme un contrat innommé, combinant des éléments du bail et de la vente à tempérament.
En cas de faillite du preneur, l’administration de la faillite dispose là encore d’un droit d’option :
- Elle peut décider de poursuivre le contrat si elle estime que cela est dans l’intérêt de la masse
- Elle peut résilier le contrat de manière anticipée
Si l’administration choisit de poursuivre le contrat, elle devra s’acquitter des redevances futures. Le donneur en leasing ne peut pas s’y opposer.
En cas de résiliation anticipée, le donneur en leasing peut récupérer le bien objet du contrat. Il peut également faire valoir une créance dans la masse pour les redevances impayées et les éventuels dommages-intérêts prévus contractuellement.
Il est fondamental pour le donneur en leasing de veiller à ce que son droit de propriété sur le bien soit correctement documenté et opposable aux tiers. Cela lui permettra de revendiquer le bien en cas de faillite du preneur.
Le cas particulier du leasing financier
Pour les contrats de leasing financier, où le donneur en leasing n’est qu’un intermédiaire financier, la situation peut être plus complexe. La jurisprudence tend à considérer ces contrats comme des ventes à tempérament déguisées, ce qui peut avoir des conséquences sur les droits du donneur en leasing en cas de faillite du preneur.
L’effet de la faillite sur les contrats de travail
La faillite d’un employeur a des répercussions considérables sur les contrats de travail en cours. Le droit suisse prévoit des dispositions spécifiques visant à protéger les intérêts des employés.
Contrairement à une idée reçue, la faillite de l’employeur ne met pas automatiquement fin aux contrats de travail. Ceux-ci se poursuivent en principe, sauf si l’administration de la faillite décide de les résilier.
L’administration dispose de plusieurs options :
- Poursuivre les contrats de travail si l’activité de l’entreprise est maintenue
- Résilier les contrats avec effet immédiat si la poursuite de l’activité n’est pas envisageable
- Résilier certains contrats en respectant les délais de congé légaux ou contractuels
Les créances salariales des employés bénéficient d’un traitement privilégié dans la faillite. Les salaires des six derniers mois précédant l’ouverture de la faillite sont considérés comme des créances de première classe, ce qui leur confère une priorité de remboursement.
De plus, l’assurance-chômage intervient pour couvrir les salaires impayés des quatre derniers mois précédant la faillite, dans la limite d’un plafond mensuel. L’assurance-chômage est ensuite subrogée dans les droits des employés et fait valoir sa créance dans la faillite.
La situation particulière des cadres dirigeants
Les cadres dirigeants de l’entreprise faillie peuvent voir leur situation traitée différemment. Leurs créances salariales peuvent être rétrogradées en deuxième ou troisième classe si leur rémunération est jugée excessive au regard de la situation de l’entreprise.
L’impact sur les dettes bancaires et hypothécaires
La faillite a des conséquences majeures sur les dettes bancaires et hypothécaires du failli. Ces créances sont soumises à un régime particulier en raison de leur nature et des garanties qui les accompagnent souvent.
Pour les dettes bancaires ordinaires (comptes courants, crédits non garantis), la faillite entraîne leur exigibilité immédiate. La banque doit produire sa créance dans la faillite et ne sera remboursée qu’au prorata, en fonction du rang de sa créance et des actifs disponibles dans la masse.
La situation est différente pour les dettes hypothécaires. Le créancier hypothécaire bénéficie d’un droit de gage sur l’immeuble, qui lui confère une position privilégiée. En cas de faillite du débiteur :
- Le créancier hypothécaire peut demander la réalisation de son gage
- Il sera remboursé en priorité sur le produit de la vente de l’immeuble
- Si le produit de la vente est insuffisant, le solde de sa créance devient une créance chirographaire dans la masse
Il est crucial pour les créanciers hypothécaires de veiller à ce que leur droit de gage soit correctement inscrit au registre foncier pour être opposable aux tiers.
Le cas particulier des cédules hypothécaires
Les cédules hypothécaires, très utilisées en Suisse pour garantir les crédits immobiliers, offrent une protection renforcée au créancier. En cas de faillite du débiteur, le créancier détenteur de la cédule peut la réaliser indépendamment de la procédure de faillite, ce qui lui confère un avantage significatif.
Les implications actuelles de la faillite sur les contrats en cours
La problématique de la faillite et de son impact sur les contrats en cours revêt une importance croissante dans le contexte économique actuel. La crise sanitaire et ses répercussions économiques ont fragilisé de nombreuses entreprises, augmentant le risque de faillites.
Cette situation met en lumière l’importance d’une gestion proactive des risques contractuels. Les entreprises doivent être particulièrement vigilantes dans la rédaction de leurs contrats, en prévoyant des clauses adaptées en cas de faillite d’un cocontractant.
La complexité du droit de la faillite et ses interactions avec le droit des contrats nécessitent souvent l’intervention de spécialistes. Les avocats spécialisés en droit des faillites peuvent apporter une expertise précieuse, tant pour les entreprises cherchant à se prémunir contre les risques que pour celles confrontées à la faillite d’un partenaire commercial.
Les tribunaux sont de plus en plus sollicités pour trancher des litiges liés aux effets de la faillite sur les contrats en cours. La jurisprudence en la matière continue d’évoluer, apportant des précisions sur l’interprétation des dispositions légales.
Enfin, le législateur suisse reste attentif à ces questions. Des réflexions sont en cours sur d’éventuelles modifications du droit des faillites pour mieux prendre en compte les réalités économiques actuelles et renforcer la protection des différentes parties prenantes.
L’importance croissante de la prévention
Face aux risques accrus de faillites, la prévention prend une importance grandissante. Les entreprises sont encouragées à mettre en place des systèmes de détection précoce des difficultés financières de leurs partenaires commerciaux. Cela peut passer par :
- Un suivi régulier de la santé financière des cocontractants
- L’insertion de clauses contractuelles prévoyant des garanties renforcées
- La diversification des partenaires commerciaux pour réduire la dépendance
Ces mesures préventives peuvent permettre d’anticiper les difficultés et de prendre les dispositions nécessaires avant qu’une situation de faillite ne se concrétise.